Avant-premièreJeux de rôle

CTHULHU V7

30 ans que ça dure ! 30 ans que des investigateurs innocents (les joueurs) se font dévorer, déchiqueter, interner, trucider et manipuler par des sbires du grand Cthulhu. Et tout cela se déroule avec la complicité sadique d’un maître du jeu (autrefois nommé le gardien des arcanes) dans ce qui reste un des jeux de rôle les plus connus du monde ludique. Star du grand écran, des comics, du jeu vidéo et j’en passe (vous pouvez trouver des chaussons à son effigie pour pas cher), le grand ancien et ses potes continuent leur invasion planétaire à la plus grande joie de fans toujours nombreux — qu’on surnomme affectueusement « cultistes ».

Vous pensiez qu’il vous laisserait du répit ? Qu’il cesserait de hanter vos nuits de cauchemars innommables et décadents ? Que nenni ! Le revoici dans sa septième édition anniversaire, pour fêter ses 30 ans (un peu plus en vérité), éditée par Sans-Détour en France, tout beau tout neuf après un petit lifting.

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« Vend maison de caractère » disait l’agence…

Cthulhu fhtagn R’lyeh

bestiare-4L’appel de Cthulhu est donc un jeu de rôle édité en 1981 par Chaosium, basé sur les écrits de Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), auteur fantastique maintenant assez réputé mais qui, en son temps, fut très peu connu. Influencé par Edgar Poe et ses histoires terrifiantes, le maître de Providence (ainsi est surnommé Lovecraft) est pourtant l’inspirateur de nombreux auteurs fantastiques qui ont peu à peu amené à le faire reconnaître comme un écrivain talentueux (on peut citer Stephen King, John Carpenter, Alan Moore et beaucoup d’autres).

Il fut également un compatriote de romanciers devenus célèbres par la suite (Robert E. Howard et son personnage mythique Conan le barbare, Robert Bloch) mais, lui, resta dans l’ombre. Il fallut attendre ces dernières années pour que l’on redécouvrît petit à petit son univers particulier à base de créatures extra-dimensionnelles affamées de réduire la terre en esclavage et revendiquant la suprématie sur les pauvres humains insipides que nous sommes.

Le désespoir, la dégénérescence et la lutte perdue d’avance, tels sont les leviers les plus utilisés dans ces œuvres, et furent à la base de l’inspiration de Sandy Petersen lorsqu’il écrivit les règles de la première version du jeu.

Santé mentale et autres joyeusetés

Des caractéristiques notées sur 20 pour donner une idée des forces et faiblesses d’un personnage, des compétences en pourcentage pour connaitre son savoir-faire découlant de la profession choisie par le joueur, et voilà, votre investigateur est prêt.

Reste enfin une notion qui va donner toute sa joyeuseté au jeu : la santé mentale. L’équilibre mental du personnage est représenté par une valeur de départ et, en assistant à des scènes macabres, des rencontres avec des créatures improbables ou en essayant de saisir les concepts para humains sur la véritable architecture non euclidienne de l’univers, l’individu va petit à petit sombrer dans les méandres de la folie. Il en découle une liste non exhaustive de troubles mentaux, phobies ou réactions hystériques lorsque la situation le détermine.
JDR - APPEL DE CTHULHU 7 AVENTURES EFFROYABLESC’est donc le prix à payer pour nos vaillants héros dont l’objectif est de tout faire pour protéger l’humanité contre des forces obscures. Car oui, l’humanité est en danger. Des dieux impies, d’effroyables créatures tapies dans les sombres recoins de l’univers, tentent de reprendre le contrôle sur notre planète. Puissantes et éternelles, elles envisagent notre espèce à peine comme des insectes tout juste bons à les servir, voire… à les nourrir.

Le jeu a connu et connait encore un franc succès. Son côté anti-héroïque, mortel et sans espoir, a poussé les joueurs vers une autre manière de concevoir le JdR. Ici, point d’objet magique ou de passage de niveau pour devenir plus puissant : au mieux vous survivrez à votre aventure et découvrirez quelques secrets qui pourront vous servir plus tard (mais bien entendu, votre santé mentale en subira le contrecoup) ; au pire, vous ne terminerez pas indemne le scénario, certaines créatures étant invincibles et destructrices.

Une enquête mystérieuse, plus d’interactions avec votre environnement et beaucoup de prudence sont les marques de fabrique classiques. Un role-play accentué, une ambiance bien flippante et parfois des aides de jeu réelles vont rendre vos parties immersives à souhait.
Bien entendu cela reste un jeu, et quoi de mieux que simuler la folie de votre personnage devant les autres lorsque votre personnage pète les plombs ?!

Vieillir, c’est mûrir un peu…

Une édition tous les quatre ans, est-ce raisonnable ? Au-delà de deux tentatives de modifier les règles en gardant le même concept (les règles D20 et Gumshoe qui ont connu un succès d’estime tout au plus), l’évolution du système de jeu depuis 30 ans a été… quasiment nulle. Chaque version a connu un nombre conséquent de suppléments, d’aides de jeu, de descriptions de lieux ou d’époques, de campagnes ou de recueils de scénarios et on peut facilement se retrouver avec une étagère remplie rien qu’avec une gamme de L’Appel de Cthulhu. Grâce à ce matériel, on arrive à avoir une foison de détails et de descriptions pour créer son investigateur ou adapter les règles à certaines situations. Car il faut le reconnaître, les règles de base étaient quelques peu… bancales : trop succinctes, trop peu détaillées, les auteurs partaient du principe que les jets de dés resteraient peu nombreux et cela se ressent dans le jeu.
Mais pourquoi autant d’éditions ? Raison marketing, développement de certains concepts à peine effleurés dans les versions précédentes, mises à jour de nouvelles créatures et lieux maudits, réunifications des données éparpillées dans les suppléments, peu importe, le grand point commun à tout cela est : on ne touche pas aux règles !

Mais alors, cette V7 ?

Vendue par financement participatif sur Ulule, cette édition française a atteint 40 fois son objectif, débloquant ainsi de nombreux add-on, comme un CD d’ambiance, une carte des années 20 ou… avoir un PNJ à son image. En atteignant de tels records, elle montre que Cthulhu fait encore des émules et attire un fort public d’amateurs endurcis.
Disons le tout de suite, cette édition est vraiment trop belle ! Photos d’époques, mise en page aérée et chapitres bien définis, la lecture est agréable et nous plonge dans les méandres du mythe. Les illustrations sont dans le ton (perturbantes sans être macabres — l’écran est sublime !).
Au-delà de ça, qu’y trouve-t-on ? Eh bien ! les règles justement, détaillées dans deux livres distincts : celui de l’investigateur pour créer son personnage et comprendre les règles, et Le Livre du gardien, lequel développe un peu plus le jeu en lui-même et apporte des éléments essentiels pour bien appréhender l’univers. S’y ajoutent un écran de jeu, le paravent où se résument les points de règles utiles au gardien lors des parties, ainsi que deux codex sur les créatures effroyables que vous pourriez rencontrer.

Le novice à L’Appel de Cthulhu ne pourrait qu’être comblé par un outil de cette qualité et il faut reconnaître que tout le nécessaire pour jouer est là, à la mesure de la participation lors de la mise en ligne…

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Ne sortez jamais sans votre fusil de chasse ! Et gardez toujours la dernière cartouche pour vous…

Les règles ont été modifiées ! Enfin, presque : les caractéristiques sont maintenant des valeurs sur 100 et non sur 20, sans doute pour harmoniser les jets de dés avec les compétences.
Les règles de combat sont un peu mieux optimisées. Une valeur de chance a été insérée. Un score de mouvement a été rajouté… Et c’est tout !
On peut relever une liste des professions sensiblement plus longue, là ou la version précédente avait introduit la notion d’« occupation » (plutôt que de faire une énumération d’emplois, vous choisissiez le genre de profession qu’avait votre investigateur — spirite, aventurier, monde médical — et après vous déterminiez vous-même la profession exacte qu’il exerçait. Un supplément venait le compléter parfaitement avec une masse de détails instructifs et immersifs), quelques modifications sur la gestion des crises de folie, bref, juste des ajustements qui ne vont en rien modifier le jeu. Il y a 30 ans vous pouviez avoir 80 % de chance de réussir un test de chimie et aucune chance de réussir un test de physique. Aujourd’hui, c’est identique.

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À noter cependant un rajout important : lors de la création vous avez maintenant des tables et propositions pour enrichir votre historique et vie personnelle : les biens les plus précieux de votre personnage, ses attaches familiales, un lieu particulièrement significatif pour lui, etc. Un très bon ajout, qui n’est peut être pas la partie la plus appréciée des joueurs (cela rallonge un peu la durée de création, et surtout crée des points faibles supplémentaires aux personnages. Ceux des romans de Lovecraft étaient principalement des célibataires libres de leurs actes).

« Alors y faut, ou y faut pas ? »
dernières paroles connues de Bob Harker, investigateur malchanceux

bestiare-17C’est simple, le collectionneur vous dira qu’il la lui faut absolument : magnifique et remaniée, cette édition vaut l’achat pour ne serait-ce que conserver le plaisir du jeu.
Pour un nouveau joueur, elle contient le nécessaire pour se lancer dans le mythe en tant que gardien, avec le plaisir d’avoir du beau matériel. Un bijou a besoin d’un bel écrin.

Pour ceux qui possèdent des versions antérieures, un nouveau livre de règles mis à jour et aux chapitres développés restera toujours un plaisir renouvelé.

Les livrets sont tous intéressants, que ce soient les règles en elles-mêmes ou les suppléments sur les créatures superbement illustrées. Vous aurez même droit à des cartes des folies pour bien expliquer aux joueurs ce qui leur arrive.

Bref. Un jeu de rôle comme on les aime, qui cependant vaut une petite somme bien rondelette (84 € rien que l’indispensable : c’est pas donné).

« Il est vrai que j’ai logé six balles dans la tête de mon meilleur ami et pourtant j’espère montrer par le présent récit que je ne suis pas son meurtrier. »

Sandy Peterson le dit lui même dans sa préface (il a encore participé à cette édition) : il ne s’agit pas de renouveler le jeu.
Ce JdR a six éditions derrière lui, certaines peut-être moins jolies et sans autant de détails, mais vous pouviez jouer avec moins de 15 kg de matériel avec vous.
D’autres (la sixième notamment) avaient déjà leur version luxueuse et complète. Si vous regardez les suppléments magnifiques qui existaient, cette nouvelle version peut sembler superflue. D’autant que les prix dépassaient parfois les 50 € pour certains d’entre eux, dur de se dire qu’il faut encore dépenser autant.

On peut comprendre l’intérêt des éditeurs à entretenir la flamme et créer l’envie chez les joueurs, mais soyons francs : c’est la beauté de l’objet qui va pousser à l’achat, ainsi que sa fraîcheur. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil et le trentième anniversaire de la gamme ne verra pas d’évolution majeure.

Mais après tout L’Appel de Cthulhu s’est construit ainsi depuis ses débuts, les innombrables suppléments ont toujours été de qualité et utilisables avec des éditions différentes. Seuls une refonte graphique et un texte plus explicite diffèrent entre les anciennes versions et les nouvelles (et parfois leurs prix exorbitants en occasion).

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Conclusion

Pris entre la tradition et le désir de nouveauté, Sans-Détour nous propose une mouture neuve pour un grand ancien sans réel changement.
Soyons clair, acheter ce jeu c’est bien acheter la version 7 spéciale anniversaire et non pas un jeu de rôle par hasard.
Tout était déjà dans la boite de base de la première édition. Là vous aurez plus de matière, plus de détails, un plus bel objet, mais toujours les mêmes défauts si l’on peut dire — qui n’ont jamais empêché de faire de L’Appel de Cthulhu un des grands jeux les plus joués.
Mon seul regret : à l’époque de la première édition vous ne pouviez pas dessiner les créatures et autres dieux, tant leurs descriptions inouïes et terrifiantes dépassaient l’entendement humain. Maintenant vous aurez un livret complet d’illustrations faisant appel à d’autres ressources de votre imagination.
Mais au moins la qualité est là et rien ne vous empêchera de trembler en découvrant les sombres secrets que recèlent notre univers… et le leur.

 

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Cthulhu fhtagn !

Illustrations © Call of Cthulhu 7th edition – Éditions Sans-Détour – Chaosium Inc – 2014

Satan

Satan, ennemi publique numero 1 depuis des millénaires, grand strateguerre de la soirée murder, ayatollah du jeu du rôle, prince du Deck building et Parain de la mafia ludique au sein de la Boîte à Chimère.

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