Essen 2015 – Retour vers le futur du monde ludique
Essen 2015 est terminé et, histoire de faire comme tout le monde, il est temps de faire un petit bilan sur cette immense foire internationale du jeu, la grande messe ludique (qui se passe d’ailleurs au Messe d’Essen, nom donné en Allemagne à cette sorte de parc d’exposition) représentant LE passage obligé des professionnels du secteur.
Pour tout vous avouer, je n’avais jusqu’à présent jamais été à Essen. Cette première représentait par conséquent une sorte de baptême du feu dans lequel j’ai plongé avec beaucoup d’attentes et un peu d’appréhension vis-à-vis de la foule annoncée comme une marée humaine. Sur ce dernier point, je dois avouer que les descriptions qui m’en avaient été faites ont été très exagérées. En effet, il est généralement admis que la plus forte affluence du salon tombe pendant le week-end avec l’arrivée des familles nombreuses (en semaine, le public est plutôt geek). Contre toute attente, ce fut une bonne surprise de voir que les allées restaient tout à fait praticables le samedi.
Du côté des légendes, on peut aussi dire que celle qui concerne « la masse de Français présents » était là aussi largement au-dessus de la réalité. Car si les éditeurs francophones étaient en effet fortement représentés, les démonstrateurs étaient le plus souvent germanophones ou anglophones. Et si on ne parle pas la langue de Goethe, il est indispensable de maîtriser un minimum celle de Shakespeare si l’on veut pouvoir comprendre à quoi on joue. Rien de plus normal puisqu’on est en Allemagne, l’Internationale Spieltage est avant tout fait pour un public local (le salon accueille quand même plus de 150 000 visiteurs sur les quatre jours).
Et vous avez vu quoi de bien ?
Question posée à la fois par ceux qui n’y étaient pas et par ceux qui y étaient.
Essen, c’est quatre halls remplis à ras-bord de stands, de petits comme d’immenses, des éditeurs comme des distributeurs, du jeu de plateau comme du jeu de rôle ou de la figurine, plus les boutiques de jeux ou les stands de nourriture (généralement à base d’huile). Et cette année, plus que les éditions précédentes paraît-il, les projets participatifs étaient fortement représentés, une partie du hall 7 leur étant quasiment dédiée.
Autant vous dire qu’avec ces centaines d’exposants (plus de 800 !) on peut traverser douze fois chaque allée de chacun des halls et passer à côté d’une foultitude de nouveautés. Et ceux qui attirent l’œil, il faut pouvoir les tester et donc prendre une demi-heure à une heure pour découvrir un jeu. Alors adieu les grosses mécaniques de deux heures, avec des cubes en bois à foison et des règles devenues d’autant plus complexes qu’elles sont expliquées dans un anglais teinté d’allemand que la fatigue du troisième jour vous fait confondre avec du volapük.
Mais pour autant, au milieu de quelques machins assez peu intéressants, nous avons fait quelques belles découvertes, ou profité de l’occasion pour acheter des nouveautés sorties tout exprès pour le salon.
Les nouveautés plateau francophones
Il est habituel chez certains éditeurs d’attendre Essen pour sortir leurs nouveautés. Parmi celles-ci, on ne peut passer à côté de l’excellent 7 Wonders duel (dont nous parlerons prochainement dans un article plus complet).
7 Wonders duel est une version du best-seller 7 Wonders d’Antoine Bauza, mais avec la petite touche fourbasse apportée par Bruno Cathala. Il s’agit donc de jouer dans l’univers de 7 Wonders, mais avec une mécanique adaptée pour deux joueurs : les merveilles existent toujours, les familles de cartes sont les mêmes (matières premières, produits manufacturés, commerce, militaire, etc.), certains aspects comme le chaînage perdurent, mais bien entendu le draft (on prend une carte et on passe le reste de la main à son voisin) n’est plus présent et des conditions de victoire immédiate ont été rajoutées.
On obtient là un jeu nerveux, riche en rebondissements et certainement un futur très très grand succès.
L’auberge sanglante a aussi été une belle découverte. Cette création de Nicolas Robert attire déjà l’œil par le choix graphique de l’illustrateur Weberson Santiago qui ne laisse pas indifférent. Tout le monde connaît l’histoire de L’Auberge rouge racontée au cinéma avec Fernandel et reprise dans un déplorable remake pour Christian Clavier : cette famille d’hôteliers accusés aux XIXe siècle d’avoir assassiné leurs clients pour les dépouiller. Eh bien c’est le rôle de ces hôtes charmants que doivent endosser les joueurs. C’est à celui qui aura fait la plus grosse fortune, dans un jeu de deck-building où il s’agit de récupérer des cartes pour ensuite les défausser afin d’assassiner ou d’enterrer les pauvres voyageurs venus se reposer dans l’auberge.
Un jeu tendu, stratégique et plus complexe qu’il n’en a l’air.
Les nouveautés plateau anglo-allemandes
En testant les jeux d’Essen, on découvre certains jeux dont l’adaptation en français n’est pas toujours évidente. Pour les découvertes dont je vais parler, il y a quand même quelques chances qu’on les voit un jour repris en version francophone, mais comme toutes deux ont un matériel sans texte, les versions originales sont facilement jouables en l’état.
Treasure Hunter, de l’incontournable Richard Garfield (Magic, King of Tokyo) nous transporte dans une chasse aux trésors dont parfois les récompenses ne sont ni souhaitées, ni appréciées.
Dans ce jeu de draft, il s’agit de conserver les cartes les plus utiles pour récupérer les trésors entreposés dans trois lieux différents. Mais attention, seuls le score le plus faible et celui le plus fort emporteront un enjeu. Et quand on sait qu’il peut arriver que ces lots soient négatifs, vous imaginez les batailles qui peuvent avoir lieu pour n’être ni le plus fort, ni le plus faible ! Bref, c’est un jeu familial mais avec une belle dose de fourberie.
Une des modes actuelles du monde ludique semble être les jeux à base de placement de dés. À Essen, on ne pouvait pas faire trois pas sans tomber sur une nouveauté ayant pour base cette mécanique. L’autre tendance est graphique et repose sur le kawaii, cette culture esthétique du mignon qui transforme n’importe quelle bête immonde en une peluche pour enfant pré-pubère. Les deux mélangés et on frôle l’indigestion. Et pourtant, avec Dice City, je suis tombé sous le charme.
Contre toute apparence, ce jeu de Vangelis Bagiartakis n’a rien à voir avec Miniville : même s’il s’agit dans les deux cas de construction d’une cité et de jets de dés, les ressemblances s’arrêtent là. Dans Dice City, chaque joueur détient cinq dés dont les couleurs sont associées aux cinq lignes de leur plateau individuel. Et, évidement, chaque ligne est composée de six emplacements, un pour chacune des valeurs : quand on obtient un 2 avec le dé jaune, on active le bâtiment correspondant. Certains lieux permettent de collecter des ressources, lesquelles seront utilisées pour bâtir de nouvelles constructions à des endroits considérés comme plus stratégiques, etc.
Au final, Dice City m’a paru beaucoup plus tactique et le hasard des dés moins contraignant que pour d’autres jeux du même type. Le sujet mérite d’être étudié de plus prêt.
Les découvertes pour figurines
Eh ! oui ! il y a aussi des stands consacrés aux figurines à Essen, et pas qu’un peu ! Nous avons ainsi pu voir, entre autres choses, toute une tripotée de décors pré-peints à des prix franchement abordables par rapport à la qualité du matériel. Mais au milieu de cette multitude, deux stands ont particulièrement attiré notre attention.
Tout d’abord Kraken Wargames, un nouveau fabriquant de tapis de jeu (les spécialistes parlent de playmats) de grande taille, dont certains modèles nous ont vraiment tapé dans l’œil. Il faut dire que le résultat est impressionnant de réalisme : il ne s’agit pas de dessins, mais de captures numériques de décors réalisés en 3D, donnant ainsi à l’image une remarquable qualité dans les détails. Côté matière, rien à voir avec les tapis premier prix pour jouer aux cartes, les décors sont imprimés sur une mousse épaisse haut de gamme.
Imaginez le résultat que cela peut avoir pour les plus grandes tailles qui devraient avoisiner 180×120 cm² ! Les premiers modèles seront lancés en Kickstarter le 31 octobre, avec plusieurs paliers débloquant d’autres illustrations. La page Facebook de Kraken Wargames montre déjà plusieurs photos des produits, dont une jungle très jolie et l’éditeur nous a dévoilé une surface de lune idéale pour X-Wing. Pour nous, c’est un dossier à suivre !
Et puis il y eu le test du jeu Freebooter’s Fate, dont l’originalité repose sur le fait que la résolution des combats se fait quasiment entièrement avec des cartes au lieu des jets de dés habituels. Lorsqu’un tireur vise, par exemple, il choisi secrètement quelles parties du corps de sa cible il va viser. De même, son adversaire choisira de se protéger la tête, le torse, un de ses bras ou une de ses jambes. Et les dégâts réalisés sur tel ou tel membre auront d’ennuyeuses conséquences pour la suite des opérations (impossible de tirer au fusil avec un seul bras valide !). Le produit final est peut-être un peu cher, mais il faut avouer que le matériel est superbe.
Voilà, ne parler que de six découvertes après trois jours de salon et une bonne quinzaine d’heures de jeux pourrait paraître un maigre bilan, mais c’est justement la profusion d’expériences qui fait qu’au bout du compte on se retrouve un peu incapable d’exprimer tout ce qu’on a ressenti. Ou alors je vous écris trente pages qui ne seront jamais lues. De toute façon, ne vous en faites pas, nous allons prochainement vous parler d’autres nouveautés présentes à Essen comme Raptor, Mystérium, Antarctica, Discoveries, l’extension Diligence & Chevaux de Colt Express et bien d’autres à venir. Et puis, allez je suis pas chien, en prime je vous mets la photo de notre partie de Conan sur une nouvelle aventure que nous avons magnifiquement plantée (et dans des décors que je vous raconte pas). On peut dire qu’on vous gâte.
Merci à Wazze pour les infos complémentaires apportées à cet article.
Photos de Kristoff © La boite à Chimère 2015