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Le GN textuel : Où on discute d’une façon méconnue de pratiquer le jeu de rôle.

Bien qu’il soit un mouvement informel n’ayant jamais dépassé le statut de niche, le GN textuel n’est en rien une évolution récente. Ses prémices remontent au tournant du millénaire, sous la forme de jeux de rôle par email (PBEM, pour Play By EMail) impliquant un grand nombre de joueurs dans une même partie.

S’agissant cependant là d’un temps ancien sur lequel il est bien difficile de trouver des informations, je ne vais pas m’étendre dessus, et plutôt commencer mon historique en 2006.

De façon générale, cet article, basé majoritairement sur des témoignages recueillis à droite à gauche en 2023, donc largement après certains des faits discutés ici, comportera son lot d’oublis, d’impasses et probablement d’erreurs factuelles pures et dures.

Également, s’agissant là d’une déclinaison très confidentielle, son vocabulaire n’est pas arrêté. Le terme même de GN textuel, je l’ai personnellement improvisé à partir de l’anglais PBP LARP (Play-By-Post Live-Action RolePlaying), soit littéralement Jeu De Rôle Grandeur Nature Joué Par Messagerie. D’ailleurs, en contexte, il est souvent coutume d’abréger tout ça en PBP. Mais comme ce terme recouvre bien d’autres pratiques, notamment des tables plus classiques avec un MJ et 4/5 PJs, juste au format écrit, je préfère ne pas l’employer pour éviter toute confusion.

Ces mises en garde derrière nous, notre histoire commence donc en 2006. La licence Legend of the Five Rings (L5R) a fêté ses dix ans depuis peu, et son éditeur, AEG, se met en tête de célébrer l’occasion avec, entre autres, un immense événement international autour du JdR lié.

Alors, organiser de tels événements n’est pas une première pour AEG. La promesse marketing centrale de L5R était la possibilité pour les joueurs d’influer sur l’histoire canonique de son univers. Principalement en gagnant des tournois du jeu de cartes, mais aussi via des événements annexes tels que des GNs physiques à la GenCon.

La grosse différence ici est qu’ils décidèrent de faire ça en ligne, via un forum, et en craquant totalement sur le nombre de participants autorisés.

Alors, des jeux de rôle via forum avec plein de monde, ce n’était pas nouveau à l’époque. C’était même assez à la mode. Cela prenait cependant plutôt la forme d’un Living World, c’est-à-dire un endroit où les gens peuvent venir un peu comme ils veulent quand ils veulent pour faire du roleplay dans un univers donné, en général tiré d’une licence comme par exemple Harry Potter.

Là, l’idée était plutôt d’avoir un événement structuré, limité dans le temps, avec un début, une fin, des objectifs, bref une philosophie beaucoup plus proche du GN ou de la plupart des tables de JdR.

Le format choisi, qui donnera son nom à l’événement, était celui de la Winter Court. Ce scénario classique de L5R consiste à faire incarner aux participant·e·s des notables originaires des quatre coins de l’Empire d’Émeraude se retrouvant à la cour impériale pour favoriser leurs intérêts et ceux de leurs clans, par l’apparat, la négociation, le complot, bref, tous les jeux d’influence possibles. Autrement dit, un bon prétexte pour bavasser un maximum, voire se permettre des assauts d’éloquence.

De l’avis général, cette première Winter Court fut un énorme foutoir. Beaucoup trop de monde, pas assez de MJs, un manque global de structure et d’organisation, pour un résultat chaotique, parfois joyeux, un peu trop souvent terriblement épuisant.

Tout n’était cependant pas à jeter. Des leçons furent tirées de ce qui s’était passé, et l’événement se reproduira encore trois fois, dans des formats de plus en plus aboutis, pour une dernière édition officielle en 2014 qui dépassera la barre du quart de million de messages.

En parallèle, des fans, indépendamment d’AEG ou d’un quelconque éditeur, continueront également à itérer sur ce concept, et ce jusqu’à nos jours. Moins gigantesques, ces événements peuvent tout de même aligner une vingtaine voire une trentaine de PJs actifs, soit de l’ordre d’un MJ pour dix PJs.

De toutes ces expérimentations est née une structure à peu près standard permettant de garder le cap même avec de pareilles contraintes :

  • Chaque jeu est divisé dès le départ en X sessions, chaque session elle-même subdivisée en X unités de temps. Typiquement, on utilisera des jours découpés en tranches de deux heures. Exemple.
  • Chaque session a une date de début et de fin dans la vraie vie. Quand une session se termine et une nouvelle commence, le scénario avance automatiquement en prenant en compte ce qui s’est passé jusque là, sans attendre les retardataires. Exemple.
  • Chaque sujet du forum RP doit obligatoirement être associé à une subdivision unitaire d’une session, et un PJ n’a le droit d’être présent au maximum que dans un sujet par subdivision. Autrement dit, un personnage peut être à la pêche le matin et à la guerre l’après-midi, mais pas à la fois au four et au moulin le soir. Exemple.
  • La plupart des sujets sont des discussions entre PJs, sans aspect mécanique, permettant de développer les personnages et un peu l’univers. Exemple.
  • Les sujets associés à la session en cours peuvent être créés ou rejoints librement tant que des règles élémentaires de politesse sont respectées. Typiquement demander en off avant de s’incruster dans une conversation déjà en cours. Exemple.
  • Les MJs vont en général proposer pour chaque session un sujet un peu central, qui va donner le ton et aura souvent des règles spécifiques, typiquement devoir faire des choix et/ou de lancer les dés. Exemple.
  • Chaque participant·e dispose d’un espace privé, réservé à ses yeux et ceux des MJs, servant à communiquer avec ces derniers. C’est notamment là que seront postées les ghosting instructions autrement dit des indications sur quoi faire de son personnage en son absence.
  • Quant un PJ est impliqué dans un événement risquant de traîner au-delà de la durée de la session, typiquement un combat, son personnage va être mis en mode automatique par les MJs au bout d’un certain temps d’inactivité. Il agit alors a minima, en suivant les instructions laissées. De façon générale, entre les emplois du temps de chacun·e·s et les fuseaux horaires, il est bien rare pour un PJ de ne pas être possédé par un fantôme au moins une fois. Exemple.

Toutes ces règles permettent d’aboutir à un format assez unique, assez fascinant, très écrit, très dense, tout en restant suffisamment contraint, en particulier temporellement, pour avoir la satisfaction d’arriver à une véritable conclusion.

De façon plus indirecte, c’est aussi l’occasion de jouer avec des gens d’autres pays… et de travailler son anglais littéraire.

Après, on va pas se le cacher, il est parfois difficile d’accès.

Déjà, autant il est parfaitement adapté à un travail de bureau avec un emploi du temps troué, ce qui permet de poster un peu régulièrement tout au long de la semaine, autant il s’adapte très mal au rythme plus classique d’une soirée ou après-midi intense dédiée un jour sur sept.

Ensuite, il est beaucoup plus facilement impacté par les aléas de la vie, puisque rater une semaine signifie grosso modo rater un quart du jeu. En conséquence, il y a à peu près un tiers de pertes sur les PJs actifs entre le premier et le dernier jour.

Enfin, même avec la toute bonne volonté du monde et une organisation solide, il y a des lenteurs parfois très frustrantes, surtout quand elles se cumulent avec des incompatibilités d’horaires. Cela reste de l’asynchrone, qui n’aura jamais la fluidité de pouvoir échanger en direct.

L’un dans l’autre, c’est une expérience étonnante. Clairement pas pour tout le monde, mais potentiellement à tester si vous aimez le RP et l’écriture.

Pour en savoir plus, vous pouvez fouiner dans les liens que j’ai donnés ci-dessus. Et, bien sûr, comme il est de coutume de nos jours, tout ce beau monde a un Discord.

 

Ceithir

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