Mafia de Cuba – Du rififi à la Havane

Après Les Loups-garous de Thiercelieux et Skull, les éditions Lui-Même nous ont sorti, fin août, une nouvelle découverte ludique basée sur la jactance et le bluff : Mafia de Cuba. Certains chroniqueurs ont trouvé de bon ton de mettre sur le même plan Les Loups-garous et Mafia pour mieux les comparer : il y a plus de rôles différents chez l’un, les parties sont plus courtes chez l’autre, blablabla. En fait ces deux jeux se ressemblent mais en pas pareil, nous avons donc préféré nous concentrer sur Mafia de Cuba qui égaie déjà régulièrement nos soirées hebdomadaires (attention, il n’est pas indispensable de se déguiser pour jouer… mais nous nous sommes amusés pour illustrer cet article).

Cuba si !

1955, La Havane. Don Kristoffo, capo di tutti capi de la mafia cubaine, a réuni ses principaux lieutenants pour une rencontre au sommet. Au cours de la réunion, le Président Batista le demande de toute urgence. On peut être gangster, on n’en est pas moins respectueux vis-à-vis de certains potentats locaux, aussi consent-il à obtempérer à l’invitation présidentielle. Mais avant de partir, il préfère confier à ses collaborateurs la boîte à cigares dans laquelle est conservée sa réserve personnelle de diamants. Il leur fait confiance.

À son retour, en ouvrant la boîte passée de main en main, le Parrain est fâché. Et déçu, car des diamants manquent… Ainsi donc certains cloportes pensent qu’on peut le voler impunément. Mais Don Kristoffo n’est pas devenu patron du milieu en animant des kermesses paroissiales ! Ils vont voir ce qu’ils vont voir, les arrogants qui rêvent d’autogestion et de treizième mois en prélèvement direct… va y’avoir du ménage chez les distraits qui confondent syndicat du crime et mutuelle prolétarienne. Attention cependant, une taupe du gouvernement américain s’est peut-être cachée parmi les malfaisants, va falloir jouer serrer pour confondre les margoulins en évitant les fonctionnaires assermentés.

Portraits

Voilà, en gros et adapté à notre sauce chimérienne, le background de Mafia de Cuba. Maintenant, passons à l’explication de la mécanique.

Mafia de Cuba, créé par Loïc Lamy et Philippe des Pallières, s’adresse à des groupes de 6 à 12 joueurs, on est donc dans du party game (si cette évidence vous a échappé, vous n’êtes pas prêt pour des jeux d’intrigues).
open box simulationLe matériel n’est pas volumineux : une boite en carton imitant un coffret à cigares, quelques jetons de type poker, une quinzaine de diamants, un petit sachet en velours et deux reproductions de bouteilles de rhum.
Petite parenthèse : tout simple qu’il soit, ce matériel est d’excellente qualité et crée une réelle immersion dans l’univers du Cuba des années 50. J’ai déjà dit dans un précédent article tout le bien que je pense du travail graphique de Tom Vuarchex, il nous plonge ici dans le paradis cubain à force d’iconographie de photos, palmiers… Quand aux objets, les diamants sont plus vrais que nature et les jetons « personnages » renvoient évidement au jeu roi du bluff : le poker.

La partie débute par la désignation du parrain… il ne s’agit pas d’un maître de jeu, il sera un joueur comme les autres, mais avec un rôle bien particulier comportant une forte responsabilité.
Le parrain prend la boîte et retire secrètement entre 0 et 5 diamants sur les 15 contenus. Puis il y dépose le nombre de jetons « personnage » déterminé dans le livret de règles et donne le coffret à son voisin de gauche. La boîte va ainsi passer de main en main et, à tour de rôle, chaque joueur a l’obligation de prendre — discrètement — quelque chose et de le mettre secrètement dans sa poche : soit un jeton, soit un ou plusieurs diamants.
...are-girls's-best-Quand la boîte revient au parrain, tout ou partie des rôles ont disparu, c’est normal et tout va bien… mais il doit malheureusement se faire à une évidence : des diamants ont été dérobés (c’est obligé : il y a toujours deux jetons de moins que le nombre de lieutenants). La suspicion s’installe, l’ambiance devient tendue, le parrain va devoir démasquer le ou les voleurs.

« L’un d’entre vous n’est pas digne de confiance…
— Oh certainement plusieurs, même… »

Avant de parler des personnages, signalons que les deux joueurs qui entourent le parrain ont un « pouvoir » particulier : le premier lieutenant (à sa gauche) a la possibilité de retirer secrètement un des personnages, le dernier (à la droite du parrain) est le seul joueur à pouvoir faire le choix de ne rien prendre dans la boîte quand elle lui arrive (il devient alors un personnage « enfant des rues »).

Venons-en maintenant aux personnages et à leurs conditions de victoire :

  • Le parrain : il est le seul à savoir à la fois le nombre de diamants que contenait la boîte au départ et combien lui sont revenus. Il use de son autorité pour mener les débats en tant qu’investigateur, procureur… et juge ! Le parrain gagne s’il retrouve tous les diamants volés.
  • Le voleur : sa nature chapardeuse le taraude depuis sa plus tendre enfance. Tout ce qui brille l’attire et, malgré les risques engendrés, il ne peut s’empêcher de prélever sa part dans le trésor qu’on lui fait passer entre les mains, limite que c’en est de la provocation !
    Si le parrain n’arrive pas à récupérer tous ses diamants, le voleur encore en jeu avec le plus grand nombre de diamants gagne la partie.
  • MdC04Le Fidèle (entre 1 et 5 jetons blancs) : il est resté loyal vis-à-vis du parrain et doit l’aider à retrouver les coupables. Il gagne si le parrain retrouve tous les diamants volés.
  • L’agent du FBI et celui de la CIA (entre 1 et 2 jetons bleus) : depuis des mois il attend un moment de faiblesse du gang pour en coffrer tous les membres. L’agent gagne seul s’il est accusé par le parrain. Si les deux personnages sont présents, comme dans toute bonne guerre des polices, ils sont en concurrence et si l’un gagne, le second perd avec les autres participants.
  • Le chauffeur (entre 1 et 2 jetons verts) : il a pour mission d’assurer la protection de son passager, à savoir son voisin de droite. Le chauffeur gagne ainsi avec son protégé.
  • L’enfant des rues : un joueur devient enfant des rues s’il reçoit la boîte vide ou si, en tant que dernier joueur, il a décidé de ne rien prendre (dans les deux cas, il doit faire semblant de prélever quelque chose). Les voleurs représentent son modèle, il voudrait tant leur ressembler… du coup il les protège. L’enfant des rues gagne avec les voleurs.

Le parrain avait bien conscience qu’il n’avait pas recruté des enfants de chœur, mais franchement avec une telle brochette de fripouilles, il lui arrive de se demander si, par hasard, l’honnêteté n’aurait pas parfois du bon.

« J’suis pas une balance !
— Je t’ai pas demandé ton signe astrologique… »

La boîte a donc fait le tour de table et tout le monde a choisi son personnage… le parrain doit maintenant commencer son investigation. Il va ainsi poser des questions à chacun des joueurs, dans l’ordre de son choix, afin de croiser les différentes versions. Il peut bien entendu demander « Qui a pris un rôle de fidèle ? »… mais les chances que toutes les mains se lèvent restent assez fortes. Alors il se concentre généralement sur des sujets plus matérialistes comme « Combien y avait-il de diamants quand tu as récupéré la boîte et combien y en avait-il quand tu as rendu la boîte ? » À ce stade, déjà, certaines contestations sont rapidement exprimées entre voisins de table.

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L’autre question traditionnelle est « Combien restait-il de rôles quand tu as pris la boîte, lesquels et que contenait-elle quand tu l’as donnée ? » avec la variante « Y avait-il encore un jeton bleu ? » qui est sensée faciliter la localisation du redouté agent américain (n’oublions pas que s’il est accusé, il gagne immédiatement la partie).
Avec ces simples éléments, le parrain a déjà de quoi réfléchir… s’il a de la chance, certaines zones « fidèles » se détachent et il peut se focaliser sur les parties plus houleuses où se concentrent les plus violentes dénégations.
Mais si par malheur son entourage se compose équitablement d’une alternance entre voleurs, fidèles et les adeptes du double jeu que sont les chauffeurs, la situation s’avère beaucoup plus croquignolesque autour de la table où fusent les amabilités « Menteur ! traître ! voleur ! »

CatchAu milieu de ce joyeux foutoir, le parrain a la lourde charge de démêler le vrai du faux et, surtout, il est le seul à pouvoir dire la phrase fatale « Toi ! vide tes poches ! » Un accusé du parrain ne peut se dérober à sa justice… Il a l’obligation de dévoiler ce qu’il a pris dans la boîte et il est éliminé s’il s’agit de diamants.
Si par contre l’accusé n’est ni voleur, ni agent, le parrain doit alors s’excuser et lui remettre un de ses jokers (il peut en avoir jusqu’à deux selon les parties) représenté par une bouteille de rhum.

Vous avez tout bien suivi ? Je rappelle les conditions de victoire : le parrain et les fidèles gagnent si tous les diamants ont été récupérés. Si le parrain accuse un innocent et n’a plus de joker à lui donner, la victoire va à l’enfant des rues et au voleur encore en jeu ayant le plus de joyaux. Un policier gagne seul s’il est accusé. Enfin, le chauffeur remporte la partie avec son voisin de droite.

Si après quelques parties vous vous sentez rodés et prêts à pimenter un peu plus le jeu, un personnage supplémentaire est proposé dans le matériel : le nettoyeur.

MdC_NettoyeurLe nettoyeur remplace un jeton blanc : il se comporte donc comme un fidèle et gagne avec le parrain. Sauf s’il utilise sa capacité spéciale ! Lorsque le parrain dit « Vide tes poches ! » à un autre joueur, le nettoyeur peut hurler « Pan ! » avant que l’accusé ne révèle sa prise : si la victime est un agent (jeton bleu), le nettoyeur gagne seul immédiatement la partie. Mais si par malheur il s’est trompé, le nettoyeur et sa victime sont éliminés… s’il s’agissait d’un voleur les diamants reviennent au parrain.

« C’est moi que tu traites de voleur ?!
— J’accuse pas, je suggère… »

Vous l’aurez compris, quand la boîte passe entre vos mains il est indispensable de compter les diamants et de mémoriser les personnages qui restent. Après, ce que vous ferez de ces informations quand le parrain vous interroge dépendra du rôle que vous avez choisi. Avez-vous intérêt à vous faire accuser ou devez-vous convaincre de votre fidélité ? On peut préparer ses réponses, mais il est indispensable de faire attention à ce qui se passe autour de la table, on lance une affirmation facilement contestable et c’est le faux-pas fatal.

Les parties auxquelles j’ai participé ont été de beaux moments ludiques, quel que soit le rôle choisi. En jouant le parrain, on entre dans la peau d’un investigateur qui doit éviter les écueils. En étant un lieutenant, tout se joue sur le personnage que l’on décide d’être : rester fidèle (si c’est encore possible) ou tenter le diable en volant des diamants, à moins que l’option CIA/FBI soit encore disponible ?

PoupéeD’où la nécessité de se construire une stratégie dès la première phase du jeu. Même si la base de la mécanique repose sur la psychologie et le baratin, il y a un aspect courbe d’apprentissage dans Mafia de Cuba : au fil des parties, on apprend à jauger d’une situation selon notre place à la table et ce qui reste dans la boîte pour choisir au mieux ce que l’on prélève. Ainsi par exemple, si vous êtes avant-dernier joueur et qu’il reste encore une bonne dizaine de diamants dans le coffret, même si la tentation est grande, il est certainement préférable de prélever un jeton personnage – s’il en reste – plutôt que de voir les soupçons fondre sur vous très rapidement.
Et puis quelles réponses apporter aux questions du parrain ? Si vous êtes fidèle, c’est facile : vous dites la vérité toute crue et tentez de convaincre votre don que vous êtes de son côté. Par contre, si votre objectif est de passer entre les gouttes du soupçon ou au contraire de vous faire accuser, là c’est nettement plus compliqué… on est dans le billard à trois bandes, le double-jeu fourbasse. Seuls les pires menteurs peuvent s’en tirer.

Et puis on rit ! La situation peut devenir franchement pittoresque lorsque la boîte revient au parrain, imaginez sa tête en découvrant que tous les diamants ont été volés… et qu’au moins un jeton fidèle traine délaissé. Dans une telle situation, il n’y a plus de doute : les espiègleries sont au programme avec un solide taux de salopards au mètre carré.
Parfois, au contraire, vous êtes submergé par l’étrange sensation d’être tombé dans un congrès de pucelles effarouchées lorsque le coffret vous passe entre les mains : tous les personnages ont été prélevés et la seule action possible est de piocher dans la grosse dizaine de pierres qui manifestement n’ont pas été touchées.

Avec cette boîte de base, vous allez pouvoir faire de nombreuses parties généralement très différentes entre elles selon les configurations et profils des joueurs. Et une fois que vous penserez en avoir fait le tour, vous pourrez essayer les nouvelles possibilités offertes par l’extension Revolución.

¡ Revolución !

Quoi ? une extension qui sort à peine deux mois après la sortie de boîte de base ?!? Eh oui, mais il ne s’agit pas d’une entourloupe commerciale comme certains esprits chagrins pourraient le penser.
MdC05En fait, lors de la conception du jeu, les auteurs avaient déjà en tête une foultitude de personnages supplémentaires… mais le hic était que, mis tous ensemble, les subtilités de la mécanique de base pouvaient échapper à des joueurs novices trop rapidement attirés par les rôles plus complexes.
Si vous avez suivi mon propos, j’ai souligné un peu plus haut la courbe d’apprentissage que les joueurs pouvaient connaître en affinant leur jeu au fur et à mesure des parties. L’extension Revolución qui sortira en boutique le 23 octobre prochain doit donc être considérée comme une boîte à outils (le terme est de l’éditeur) permettant aux joueurs aguerris de faire varier la configuration des parties en remplaçant certains rôles par d’autres et en ajoutant un peu plus de finesse dans le jeu.

Cette première extension (qui peut donc en annoncer d’autres) comporte six jetons personnages supplémentaires et un faux diamant (vert) :

  • une croqueuse de diamants ;
  • un traître et son sbire ;
  • deux révolutionnaires ;
  • un avocat véreux.

Là je vois vos yeux briller à l’idée d’avoir tous les détails sur ces nouveaux rôles et leurs pouvoirs… oui mais j’ai promis à l’éditeur de ne pas tout dévoiler en avant-première et je n’ai pas envie de fâcher l’imposant Philippe des Pallières. J’ai charge d’âme… Pour autant je ne vais quand même pas vous laisser sans rien à vous mettre sous la dent. Attention, je ne vous dis rien mais le répétez pas, ici on est entre membres de la famille et on n’aime pas les balances.

Déjà, le faux diamant : c’est une pierre mais lors de la mise en place du jeu il remplace un jeton agent (bleu). Il ne peut être prélevé qu’avec d’autres diamants (le joueur devient donc voleur) ou seul (il est alors enfant des rues). Lorsqu’il est accusé, le joueur révèle seulement le faux diamant : il reste en jeu et mais ne reçoit pas de joker. Il s’en tire donc pour cette fois, mais par contre le parrain peut l’accuser une seconde fois s’il pense qu’il est voleur. Admirez la finesse de la fourberie : le possesseur du faux diamant ne joue jamais dans le camp du parrain.

la-banquiereLa croqueuse de diamants : elle remplace un jeton fidèle à la mise en place, mais n’est pas pour autant systématiquement du côté du parrain. L’objectif de cette intrigante est d’être accusée ! Elle gagne alors immédiatement la partie en partageant sa victoire avec le joueur ayant le plus de diamants à ce moment de la partie (soit le parrain, soit un voleur, soit le traître). Elle a donc intérêt à se faire accuser rapidement afin d’éviter de se faire souffler la victoire par un autre personnage, mais le parrain n’a d’intérêt à l’accuser que s’il a récupéré la moitié de ses pierres. Les raisons du cœur sont parfois perturbées par des considérations plus matérielles.

l'apacheLe traître et son sbire : le premier remplace un jeton agent, le second (utilisé à partir de 9 joueurs) se substitue à un jeton fidèle lors de la mise en place. Quand le traître est en jeu, le parrain n’a plus droit à l’erreur (il n’a aucun joker). À la première accusation erronée, le traître renverse le Parrain, récupère la boîte à cigares (sans les diamants déjà retrouvés qui sont mis de côté) et poursuit l’enquête. Lui et son sbire gagnent la partie s’ils retrouvent les diamants manquants. Du côté des fidèles, ce coup de force est mal vécu et ils se retournent contre l’usurpateur… si le nouveau parrain accuse à tort un fidèle, ce dernier se venge en gagnant la partie avec le voleur le plus riche encore en jeu. C’est eau, gaz et traîtrise à tous les étages.

À ce niveau d’accumulation de fourberies, je ne vais pas m’étendre plus loin sur les spécificités des personnages des révolutionnaires (qui peuvent remplacer tout ou partie des agents) et de l’avocat véreux (lequel se substitue à un chauffeur), mais sachez que leurs rôles ne dépareillent pas dans la galerie des perversités déjà présentées. Vous allez voir, c’est totalement immoral !

MdC02le-couteauMafia de Cuba est un jeu de Loïc Lamy et Philippe des Pallières
Illustré par Tom Vuarchex
Édité par les éditions Lui-Même
Prix éditeur 25 €

 

MdC03DiamondsRevolución est un jeu de Loïc Lamy et Philippe des Pallières
Illustré par Tom Vuarchex
Edité par les éditions Lui-Même
Prix éditeur 14,50 €

 

 

Merci aux chimériens pour s’être prêtés au jeu pour illustrer cet article.

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Les illustrations sont © éditions « lui-même », septembre 2015
Les photos de cet article sont de Smerk © 2015 – La Boite à Chimère

 

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