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En Corée du Sud, le JDR bastion de résistance à la misogynie

« Et pourtant, elles jouent ! » C’est avec cette phrase que s’ouvre en janvier 2017 le Blog collaboratif éponyme ayant pour but d’offrir un lieu d’expression aux femmes rôlistes pour y dénoncer le sexisme qu’elles ont pu subir dans le milieu du jeu de rôle. Cette libération contribuera à ouvrir le débat sur la misogynie ambiante dans nos milieux, mais viendra aussi avec son lot de harcèlement et de remise en question de la parole des victimes. Un an plus tôt, au Pays du Matin calme, un simple vêtement mis en avant sur les réseaux sociaux d’une actrice importante de la scène rôliste coréenne va déclencher une vague de haine masculiniste et un soutient inattendue du milieu de l’édition.

Nous sommes en 2016, Choi Mika, autrice de jeu de rôle ayant son propre label Rolling People et créatrice du podcast Tabletop Entertainment (qui présente des entretiens avec des designers, des discussions entre rôlistes et des Actual play) partage en ligne un T-shirt floqué du slogan « Girls Do Not Need A Prince ». Ce T-shirt est une initiative du collectif féministe Megalia dans le cadre d’une campagne de levée de fonds contre les violences conjugales. Mais comment une telle initiative peut-elle déclencher une vague de harcèlement ?

Un peu de contexte pour y voir plus clair. Malgré des apparences de modernité, la société sud-coréenne demeure très machiste. La Corée du Sud possède le plus gros écart de salaire (31% en 2021) entre les hommes et les femmes des « pays développés » alors que les coréennes sont les femmes les plus diplômées de l’OCDE. Il a fallu attendre 2021, après une longue bataille des organisations féministes pour que l’avortement soit enfin dépénalisé. Alors que ces dernières luttent pour toujours plus d’égalité, les hommes sud-coréens laissent entendre un son de cloche bien différent. Plutôt que de soutenir leurs homologues féminines, ils les accusent d’égoïsme et les rendent responsables de la crise de la natalité du pays ainsi que l’accroissement de la compétitivité sur le marché de l’emploi. Une étude publiée en 2021 par le quotidien sud-coréen Hankook Ilbo montre que 79% des hommes âgés de 20-29 ans pensent que les discriminations à l’égard des hommes est un problème sérieux. L’ancien président conservateur Yoon Suk-yeol (aujourd’hui suspendu de son poste pour une tentative de coup d’Etat) sait parfaitement à quelle partie de son électorat il s’adresse lorsqu’il déclare pendant la campagne présidentielle de 2022 que le « féminisme était allé trop loin ». Durant son mandat, il réduira le budget alloué à la lutte contre les violences sexistes et gommera les termes « femmes » et « égalité de genre » des textes de loi qu’il fera passer.

Dans cet environnement hostile aux prises de parole féministes, Kim Sung-il, cofondateur de Dayspring Games (un éditeur de jeu de rôle sud-coréen), prendra la défense de Choi Mika via les réseaux sociaux de la maison d’édition.  L’entreprise vient alors tout juste de boucler un financement participatif pour localiser en Corée le jeu l’Appel de Cthulhu et s’attire à cette occasion les foudres d’une horde de masculinistes. Alors que certaines personnes commencent à demander un remboursement, Kim tient bon ! Avec le soutien de l’éditeur de jeu de rôle Chaosium (qui possède les droits de l’Appel de Cthulhu), Kim annonce qu’ils accepteront toute demande d’indemnisation. S’ils perdent une centaine de contributeurs, ils en gagneront quatre fois plus ! Cette prise de position courageuse des acteurs du milieu semble avoir contribué à faire du jeu de rôle en Corée du Sud un refuge pour les femmes. Dans un article publié par le blog Rascal, Choi Mika déclare que le jeu de rôle est une « activité à majorité féminine ». En 2019 lorsque Dayspring Games organise une convention, environ « 70 % des participants étaient des femmes » selon Kim Sung-il.

S’il faut prendre avec des pincettes les déclarations d’un seul éditeur, cela donne tout de même du baume au cœur. Pour autant, continuons de nous interroger sur nos propres pratiques, afin de rendre la scène du jeu de rôle français encore plus accueillante et inclusive.

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