Concordia, avez-vous la faveur des Dieux ?
Fortes fortuna juvat, le dicton latin prétend que la fortune favorise les audacieux. De l’audace, il vous en faudra dans Concordia pour vous attirer les bonnes grâces des dieux et étendre votre influence à travers l’Empire romain.
Sorti en 2014 dans sa version française chez Ystari, ce jeu pour experts est une de ces trouvailles ludiques qui ressortent régulièrement dans les soirées de la Boîte à Chimère.
Concordia réunit de 2 à 5 joueurs dont l’objectif est d’étendre leur influence commerciale à travers l’Empire romain.
Le matériel se compose d’un grand plateau recto-verso : une version Italie pour 2-4 joueurs et celle représentant l’Empire, allant de l’Angleterre à l’Égypte, pour 3 à 5 participants.
À cette carte découpée en 12 provinces s’ajoutent un peu de matériel : de petits plateaux individuels correspondant à l’entrepôt personnel de chaque joueur, des pions en bois représentant des marchandises (blé, brique, fer, vin et tissu), de petites maisons et des meeples (pions) personnages ou bateaux aux couleurs des participants. Bref, du cube en bois par excellence… mais pas seulement.
Concordia est en effet un jeu de deck-building. Il y a par conséquent des cartes, et en quantité (72).
Pour nos lecteurs qui ne connaîtraient pas le deck-building, il s’agit d’une mécanique où le joueur commence avec un set de cartes de départ qu’il lui faudra étoffer en acquérant durant la partie des cartes supplémentaires afin d’étendre ses capacités d’actions : plus on a de cartes, plus on a de choix dans les actions à réaliser.
Dans Concordia, les cartes ont deux caractéristiques : leur action et le dieu auquel chacune est associée (mais je reviendrai là-dessus un peu plus tard).
Les cartes de départ correspondent à des actions classiques pour ce type de jeu : se déplacer, produire dans une région, acquérir des cartes supplémentaires, acheter et/ou vendre des marchandises, copier une carte jouée par un autre et bien entendu refaire sa main (avec la possibilité d’acheter un meeple-colon supplémentaire).
Mais on fait quoi avec nos cartes et nos pions colorés ?
Deux actions reviennent régulièrement. Attention les yeux, c’est révolutionnaire : on se déplace ou on produit…
Les déplacements / constructions : les cartes « Architecte » permettent de déplacer ses meeples à travers les différents territoires de l’Empire et d’y construire des villas dans les cités.
La production : chaque cité est associée à un type de marchandise. Les cartes « Préfet » déclenchent la production d’une province : tous les propriétaires d’une villa posée sur le territoire remportent une marchandise correspondant à la cité où elle a été construite.
Un joueur un peu malin peut ainsi recevoir régulièrement des marchandises produites par ses villas s’il s’est installé dans les provinces déclenchées par ses concurrents. En général on injurie ce profiteur sournois.
En complétant leur deck avec de nouvelles actions (on utilise pour cela la carte « Sénateur »), les joueurs vont pouvoir cumuler certaines autres cartes « classiques » fort utiles (le Diplomate copie la carte d’un autre joueur, le Marchand permet d’acheter ou de vendre des marchandises…) mais aussi acquérir certaines cartes spéciales, moins nombreuses, qui permettent de déclencher la production d’un type particulier de cités, de construire des colons supplémentaires ou d’éviter des surcoûts pour l’achat de nouvelles cartes.
Tout bon jeu présente des contraintes. Comme on peut s’en douter la construction d’une villa n’est pas gratuite. Il faut pour cela des sesterces et, selon la cité, une ou plusieurs marchandises associées. Le petit détail qui tue : le coût en sesterces d’une villa est multiplié par le nombre de bâtiments déjà construits dans la même cité. Pour le premier arrivé, l’opération est facilement rentable, pour le dernier ça commence à coûter bonbon.
Il s’agit donc d’optimiser ses actions entre déplacements, constructions, la collecte de sesterces et celle de marchandises. Jusque-là rien que de très classique, mais la mécanique fonctionne bien et permet quelques belles interactions entre joueurs.
La véritable originalité du jeu repose sur son mode de comptage des points… oui, dit comme ça, ça n’a pas l’air très innovant mais attendez un peu que je vous explique :
Comme je l’ai écrit un peu plus haut, chaque carte action est associée à une des six divinités du panthéon romain. Et ce sont ces divinités qui rapportent des points au décompte final :
JUPITER rapporte 1 Point de Victoire (PV) par villa que le joueur a construite (hormis les cités de brique). On peut aller jusqu’à 15 PV par carte.
SATURNUS : 1 PV par province dans laquelle le joueur a construit au moins une villa (il y a 12 provinces donc 12 PV potentiels par carte).
MERCURIUS : 2 PV par type de marchandise que le joueur produit (il y a 5 marchandises différentes, donc 10 PV max par carte).
MARS : 2 PV par colon présent sur le plateau (un joueur peut avoir jusqu’à 6 colons, donc 12 PV max par carte).
À ces divinités existant en plusieurs exemplaires, s’ajoutent deux autres un peu différentes :
VESTA (carte unique détenue dans chaque set de départ) rapporte 1 PV par multiple de 10 sesterces que le joueur détient encore en fin de partie. Il s’agit plutôt d’une carte alibi apportant quelques points à un joueur ayant commis des erreurs d’optimisation de sa trésorerie. Il n’y a en effet aucun intérêt à amasser une fortune, c’est même plutôt une erreur stratégique.
MINERVA est présente sur 5 cartes, chacune est associée à une marchandise et apporte entre 3 et 5 points par villa du joueur produisant ladite marchandise.
Vous l’aurez compris, il ne suffit pas de se préparer une fine stratégie d’expansion rapide, encore faut-il cumuler les cartes divinités qui vont apporter les points de victoire correspondant.
Vous devez dans Concordia jongler avec les priorités, entre optimiser votre déploiement, développer votre deck d’actions ou cumuler les divinités qui vous assureront des points.
« Saperlipopette, j’ai l’occasion de copier un architecte pour construire à Massilia avant que cela ne devienne trop cher, mais je prends le risque de me faire souffler sous le nez les deux cartes Saturnus qui me manquent ! Peste soit de ce fourbe qui joue après moi ! »
Concordia réunit tout ce que j’aime dans un jeu de plateau équilibré : la part de hasard est réduite à son minimum, la mécanique s’avère fluide avec des actions rapides et l’interaction reste non violente (il n’y a aucune action d’attaque) mais présente un fort potentiel d’enquiquinement.
L’extension
La mécanique de Concordia fonctionne tellement bien qu’une extension Britannia & Germania, pour l’instant uniquement disponible en langues anglaise et germanique, a été éditée mais ne modifie que le plateau de jeu. Aucune nouvelle carte action, ni pion, ni marchandise,… rien que deux nouveaux terrains permettant de diversifier les parties.
Comme son nom l’indique, cette extension a un côté représentant l’Angleterre découpée en 10 provinces, avec deux points de départ : Londinium pour les unités terrestre et Portus Itius (Calais) pour les bateaux.
L’autre verso se développe sur le Nord-Est de l’Europe, les étendues maritimes sont remplacées par des voies fluviales et les règles ont été modifiées à la marge pour donner un plateau beaucoup plus tendu au niveau de la gestion des déplacements.
Bref, du côté des joueurs de plateau de la Boîte à Chimère, catégorie « amateurs de cubes en bois », on raffole de Concordia qui ressort chaque fois que l’envie se fait sentir d’un jeu un peu costaud mais avec beaucoup de fourberie.
Concordia
Un jeu de Mac Gerdts
Illustré par Marina Fahrenbach
Edité par Ystari
Illustrations & Photos : © Ystari / Kristoff & Fred Jet d’Ail