Jeux de rôle

Petit guide du jeu de « rol » pour baroudeurs à Buenos Aires

Laissez-moi vous faire voyager un peu. A plus de 10 000 km de Paris, au pays du bœuf, de la parilla, des gauchos et du Fernet-Branca (l’alcool est à consommer avec modération bien sûr, surtout celui-ci qui n’est pas bon du tout (voire dégueulasse) : l’Argentine. Exilé depuis plusieurs mois et sans possibilité de participer aux parties endiablées du mardi soir de la Boite à Chimère, l’appel du jeu était trop fort. Bien sûr j’avais emporté dans ma valise quelques jeux de plateaux comme Skull, Crossing ou encore Munchkin. Mais pour le jeu de rôle c’est plus compliqué : d’abord il faut jouer en espagnol, mais il faut surtout trouver des joueurs et un MJ. Tout un parcours du combattant (j’abuse un peu…) que je vais vous conter de ce pas.

Les clubs de la capitale et leur fonctionnement

La communauté de rôlistes est extrêmement importante en Argentine et très active, surtout dans la capitale de Buenos Aires et sa banlieue qui polarise plus d’un tiers de la population totale du pays. Je suis incapable de vous parler avec certitude des autres villes mais après quelques recherches, il m’est apparu très difficile de trouver des groupes de joueurs dans les autres grandes villes du pays comme Cordoba ou Mendoza, du fait de la centralisation économique, politique et démographique de Buenos Aires. On peut trouver les contacts des clubs et des groupes sur différents forums comme :
SitiosArgentina
DeRol
Taringa

Ces forums étant en général jumelés à un groupe Facebook, le réseau social sert alors d’outil de communication entre les membres mais il permet aussi de fixer les évènements à l’avance et d’inviter les membres pour compléter les tables assez rapidement.
Malgré l’absence de structure juridique officielle (impossible pour moi de trouver une association), les groupes informels rencontrés bénéficient d’un mode de fonctionnement issu du modèle associatif, avec un président, des administrateurs et des modérateurs du forum et sur le groupe Facebook, apparaissant comme les membres les plus anciens ou les plus impliqués dans la vie du collectif. Sans pouvoir généraliser, j’imagine qu’à peu près tous les groupes que j’ai pu contacter ont une organisation identique.

13912802_1143663222342461_8172409176734675903_nMême si les parties se font en général chez les uns ou chez les autres, certains bars ou centres culturels s’ouvrent néanmoins aux rôlistes, et ce avec un double intérêt : le premier est purement économique – ne nous le cachons pas – les rôlistes doivent consommer ou bien payer l’entrée. Il ne faut cependant pas négliger la dimension culturelle du jeu de rôle. En effet les centres culturels indépendants sont très nombreux à Buenos Aires et proposent des activités sur un très large éventail pour se constituer une identité propre et avoir un public bien spécifique. Ainsi, il n’est pas rare de pouvoir pratiquer du tango, du tai-chi ou du théâtre dans ces centres. Le jeu de rôle apparait alors en tant qu’activité culturelle comme une autre, accessible à tous… ou presque.

L’impact de la crise économique sur le jeu de rôle (et le jeu de plateau, parce qu’on aime les plateauistes)

Je vous préviens, c’est la partie chiante de l’article mais cela me parait essentiel. Je vous avoue que si je n’avais pas mis les pieds en Argentine, je n’aurais jamais pu mettre en relation le jeu de rôle et la crise économique du pays. Le pays qui a subi en 2002 une banqueroute plongeant le pays dans un léger (euphémisme) chaos économique, social et politique. Je ne suis pas économiste et surtout, c’est super rasoir, mais il faut savoir que depuis cette crise, les produits importés sont extrêmement chers car surtaxés. Cela signifie donc que l’électroménager, mais aussi l’électronique (jeux vidéos, télévision…) sont hors de prix (deux à trois fois le prix français, là où le salaire minimum est trois fois moins élevé qu’en France…). Imaginez qu’un jeu vidéo est vendu 100 euros et une console 600 ! Déjà que j’ai l’impression de me faire racketter quand je paye 70 euros (et je ne parle pas des jeux à DLC sinon je vais être vulgaire)… Les jeux ne sont évidemment pas épargnés.

Bien sûr les jeux de plateaux grand public comme le 1000 bornes, La bonne paye ou Qui est-ce ? sont rachetés et produits par des éditeurs argentins à des prix plutôt abordables, mais les jeux plus méconnus qui font notre bonheur à La Boite à Chimère sont introuvables ou alors à des prix incroyablement élevés. Le jeu de rôle est à la même enseigne puisque le livre de règle coûte un bras : par exemple l’édition 20ème anniversaire de Vampire la mascarade coûte 2000 pesos soit environ 125 euros alors qu’on le trouve à 65 euros sur des sites français (déjà que payer un bouquin 65 euros, ça fait mal, même si y a des beaux dessins). J’ai eu beau chercher pour plusieurs autres jeux de rôle mais je suis formel : tous les livres de règles sont au moins deux fois plus chers en Argentine. Il n’y a guère que les dés qui coûtent – comme en France – aux alentours d’un euro.

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Cela pose quoi qu’il en soit un réel problème. Les MJ et joueurs avec qui j’ai pu discuter expliquent qu’ils n’ont pas les moyens de se payer le livre de règles. Ils sont alors obligés de le pirater et en général, en anglais, les versions espagnoles étant plutôt rares (ou incomplètes). Être « obligé » de pirater… C’est la chose la plus drôle que j’ai entendu depuis longtemps, nous qui vivons au pays d’Hadopi. Cela m’apparait comme une aberration mais ce que je trouve le plus dommageable, c’est que cette pratique dénature l’essence même du jeu de rôle PAPIER (et je souligne bien ce mot), les rôlistes n’ayant accès qu’à du contenu dématérialisé. Malgré tout, cela n’empêche pas les rôlistes de pratiquer régulièrement, avec ou sans livre. J’ai donc pu intégrer un groupe et jouer, en laissant à la porte toutes ces considérations économiques que vous aurez oubliées dans cinq minutes.

Mon club d’adoption : Septima Legión

10600441_1042837352425049_7400933141110240437_nAprès moult recherches (je fais semblant, en réalité j’ai très peu bossé pour cet article parce que flemme), j’ai contacté le club Septima Legión qui me paraissait plutôt actif même si d’autres avaient attiré mon attention comme Rol n Ramos ou Garion Rol (qui est aussi une boutique spécialisée)¹.

Ayant été très bien accueilli sur leur groupe Facebook, j’ai rapidement pu intégrer une partie ; la communauté est assez importante (407 membres sur Facebook et 444 sur le forum à l’heure où j’écris ces lignes) et assez active puisque ils jouent tous les dimanches et qu’au moins deux tables sont organisées. Il y a cependant un fonctionnement différent entre campagnes et one-shot.

Les campagnes sont organisées pour une durée de trois mois, reconductibles à la demande des joueurs. Si certains désirent changer, ils peuvent être remplacés par d’autres joueurs, en plus de ceux qui restent, sinon la campagne est arrêtée. Durant ces trois mois, vous êtes fortement conviés à ne pas manquer une partie. L’absentéisme récurrent est puni puisque en premier lieu tu te fais engueuler et les Argentins ont tendance à gueuler fort, et pour pas grand-chose parfois. Le tout dans un espagnol très rapide et plein de gros mots super cool que je n’énoncerais pas ici. Le joueur est surtout exclu de la partie et dans les cas de récidive, du club. Je vous rassure tout de suite, si vous ne pouvez pas vous libérer un ou deux dimanches sur les trois mois, cela ne pose pas de problèmes, il ne faut juste pas abuser de la patience du MJ et des rôlistes. Les One-Shot, eux, se déroulent tous les dimanches sauf cas rare selon ce que les différents MJ proposent. De ce que j’ai vu, il y a cependant au moins deux One-Shot tous les dimanches. Là encore, toute personne s’inscrivant à la table doit venir ou prévenir le plus tôt possible en cas d’impossibilité car la demande est plutôt forte et les MJ prennent à cœur le bon déroulement de leur partie.

Dans l’organisation des parties, Facebook joue le rôle principal. Les évènements sont créés par les MJ du club et publiés sur le groupe. Une invitation est alors envoyée à chacun des membres et les premiers intéressés font savoir par message sur l’évènement qu’ils participent. Les premiers arrivés sont les premiers servis (comme pendant les soldes, et comme à chaque fois, je suis un abruti qui va faire les soldes en retard, du coup il n’y a plus les chaussures à ma taille. A croire que tout Paris fait du 42). Le MJ fixe le nombre de places disponibles, mais il n’est pas rare qu’il accepte un joueur en plus. C’est aussi sur l’évènement que sont publiées les informations relatives aux personnages et à l’univers du jeu. Faute de temps, il n’y a quasiment jamais de création de personnages avant de jouer, et le MJ pose les contours du scénario sur Facebook. Sans vous mentir, je n’avais rien lu (c’était long, en espagnol, et avec du vocabulaire que je ne maitrisais pas) mais je n’étais pas le seul. Vous vous demandez alors à quoi sert le forum (en vrai vous vous en fichez, et vous aviez même oublié l’existence du forum) ! A pas grand-chose en réalité, il n’est qu’un moyen de communication secondaire où sont postées les informations utiles (lieu, heure…) mais aussi des guides pour bien diriger une partie, des débats sur tel ou tel jeu, bref une sorte d’Agora pour les membres du club.

Warhammer Fantasy en espagnol, c’est difficile (mais rigolo)

13087929_1609289032694713_6567967740541891543_nRendez-vous est pris pour le dimanche sur un One-Shot de Warhammer Fantasy (seconde édition), entre 14h et 20h, heure à laquelle le centre culturel Ambigü ouvre ses portes au club. Ce dernier demande en échange 10 pesos (environ 60 centimes d’euros) par joueur ; les MJ eux ne payent pas (logique !). Le centre culturel dispose aussi d’une cafétéria où il est possible de boire et manger mais la consommation n’est pas obligatoire. Et encore heureux parce que la bouteille de Coca à 3€50 et la part de pizza à 10€ non merci. Bon on ne va pas se le cacher, au bout de 3 heures à parler espagnol, j’ai quand même été un bon consommateur (pigeon) en allant me prendre à boire.

Une fois les questions habituelles passées (« Tu viens d’où en France ? », « Tu fais quoi dans la vie ? », « Tu fais quoi à Buenos Aires ? »), la partie commence. Le MJ, un homme d’une trentaine d’années, nous présente succinctement l’univers puis plus longuement les personnages et le scénario. Nous sommes 6 joueurs, un adolescent de 15-16 ans, quatre étudiants d’environ 20 ans  (dont votre humble serviteur) et un homme plus vieux d’une cinquantaine d’années. Je précise que notre table n’est pas représentative de Septima Legión puisque derrière nous jouaient deux femmes et trois hommes d’une trentaine d’années à Vampire : la mascarade. Nous commençons à jouer vers 15h30 (NOTE : la présentation a duré en réalité une heure, le temps de mettre le matos en place et de parler de tout et de rien avec les autres joueurs). J’incarne un artilleur nain, spécialiste en ingénierie et en artillerie, armé d’un fusil à longue portée et de deux armes à feu expérimentales qui en cas d’échec critique explosent et font beaucoup, BEAUCOUP de dégâts au porteur et aux personnages dans un rayon de 5 mètres (2 D10 de dégâts + 50% de chances de consommer toute la poudre qu’il reste). La mission est de récupérer un codex lambda dans un donjon lambda rempli d’ennemis lambda pour contrecarrer une épidémie qui touche le peuple des nains et donne l’apparence de zombies aux malades. Un scénario lambda en somme. Mais c’était vraiment divertissant.

WFRP-01Le MJ, bien que parlant très rapidement (comme beaucoup d’Argentins) a été très compréhensif et n’a pas hésité à répéter plusieurs fois ou à m’expliquer certains mots que je ne comprenais pas. Il m’a d’ailleurs proposé de me faire jouer en anglais ce que j’ai refusé pour ne pas freiner la partie et pour ne pas ennuyer les autres joueurs. Autre point très appréciable, le MJ n’hésitait pas à nous malmener. Quand je dis malmener, j’entends par là martyriser ses personnages, nous victimiser ou nous bolosser comme dise les jeunes (qui a corrigé l’article, sérieusement ?). Pour lui, Warhammer est un univers cruel, où la guerre est partout présente les joueurs doivent donc s’attendre à souffrir voire mourir s’ils manquent leurs jets. Ça n’a pas raté j’ai perdu une oreille, j’ai pris un tir allié (une flèche qui traverse ma mâchoire) mais je n’étais pas le plus à plaindre : notre healer s’est fait arracher le bras. C’est une façon de jouer au jeu de rôle plaisante et se prêtant bien à un One-Shot. Tuer un ou plusieurs joueurs peut être un enjeu et amener les joueurs à prendre plus en considération leurs actions et celles des ennemis. Pour autant, le MJ accorde à chacun un point de chance qui permet, une fois à 0PV de restaurer 1 ou 2PV pour éviter de mourir (et donc de regarder les autres jouer). Cela ajoute aussi une réelle dimension aux combats, devenus beaucoup moins faciles ainsi l’enjeu et la satisfaction de la victoire en sont grandis. Une autre mécanique de jeu auquel je ne suis pas habitué à attirer mon attention : les jets ouverts. Le MJ a fait la quasi-totalité de ses jets sans les cacher. Bon, les écrans de jeu (comme les livres de règles) sont introuvables ou chers mais c’est surtout la façon de jouer du MJ. Ce dernier ne faisait des jets cachés qu’à certains moments critiques pour entretenir le suspense ce qui en soit ne me posait aucun problème. A part ce système de jets ouverts et le sadisme du MJ, je n’ai remarqué aucune différence avec ce que j’avais déjà pratiqué en France. Le MJ connaissait l’univers, les règles du jeu et son scénario sur le bout des doigts, vous l’aurez compris je suis tombé sur un MJ qui me convenait très bien, tout comme les autres joueurs qui étaient, pour la plupart, confirmés.
Bon, bien sûr, la langue a été le principal frein durant le jeu. Malgré mon espagnol correct, il y a certains points de l’univers que je ne comprenais pas et certaines descriptions dont il me manquait quelques bribes ce qui donnait à peu près ça :

– MJ : « Vous entrez dans une salle faiblement éclairée, au fond vous voyez un [insérer un mot incompréhensible en espagnol] en son centre. Que faites-vous ? »
– Joueur à ma droite : « Je cours, je sors mon épée et je tape dessus »
– Joueur en face : « Et je le couvre à l’arc »
– Moi dans ma tête : « Mmhh. Sans doute un ennemi. Ou une piñata ».
Cet handicap à deux ou trois reprises n’a pas non plus ruiné mon expérience de jeu (je ne pense pas non plus que les autres joueurs ou le MJ en aient pâti). Je déconseille quand même de jouer si vous ne maîtrisez pas la langue, c’est franchement horrible quand tout le monde est mort de rire et que toi, t’es au milieu, sans trop savoir ce qu’il se passe.

Le principal dans tout ça, c’est que je me suis amusé durant cet après-midi passé à tuer du troll et à me faire martyriser par des zombies-nains. Le club Septima Legión que j’ai trouvé et plus largement la communauté très active de Buenos Aires regorge de personnes fort sympathiques qui sont à même de vous proposer des parties régulièrement, pour peu que vous parliez espagnol.

¹ J’ai choisi Septima Legion par pur hasard, c’était vraiment du pif. C’est un des premiers groupes sur lequel je suis tombé, j’ai juste vérifié qu’ils étaient actifs et j’ai intégré leur groupe. Quant aux différences avec les autres groupes je ne crois pas qu’il y en ait vraiment. Par exemple, certains font des podcasts ou des articles, mais en soit pas de différences fondamentales qu’il me semble important d’évoquer.

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