Jeux de société

L’indispensable Skull — le bluff sous un crâne

Sous la canicule ou qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, il est un jeu qui ressort à chacune des soirées hebdomadaires de la Boite à Chimère. Sa boite est petite et carrée, il ne se compose que d’une vingtaine de cartes rondes en carton – genre sous-bock de bière – ses règles sont simples et il est pourtant considéré par une très large majorité comme un petit bijou de bluff, de fourberie et de manipulation psychologique. Son nom : Skull. Si vous ne le connaissez pas encore, il vous faut le découvrir !

skull06Réunissant de 3 à 6 joueurs de tout poil (on croise dans les inconditionnels de Skull à peu près tous les styles de joueurs : plateau, party game ou JdR), cette création d’Hervé Marly, éditée par les éditions Lui-Même, présente en effet tous les atouts du plaisir ludique : les règles sont rapides à expliquer et les parties relativement courtes, de 15 à 45 minutes. Mais surtout, surtout, il s’agit d’un raffinement délicieux dans l’interaction entre joueurs.

Une jolie fleur déguisée en crâne… un joli crâne déguisé en fleur

En début de partie, chaque joueur détient quatre cartes rondes à sa couleur : trois représentent une fleur, un crâne figure sur la quatrième. Au commencement du tour, chacun choisit un de ses disques et le pose, face cachée, devant lui.
Le premier joueur a ensuite le choix entre deux options : ajouter – toujours face cachée – une nouvelle carte sur celle posée précédemment, ou lancer un défi.
S’il pose une carte, l’action passe à son voisin qui, lui-même, peut choisir entre ajouter un disque sur sa pile ou le défi, etc.

skull05Si un joueur ne veut ou ne peut pas ajouter de carte, il lance un défi et annonce le nombre de disques figurant des fleurs qu’il pourra retourner parmi ceux posés sur la table.
Aucune carte ne peut être ajoutée une fois le défi lancé. Les partenaires doivent, à tour de rôle, surenchérir ou passer jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un joueur en lice. Ce dernier devient le challenger et tente de remplir son contrat en commençant par dévoiler ses propres cartes, puis continue chez les autres joueurs dans la limite fixée par le contrat.

Il gagne la manche s’il arrive à dévoiler le nombre de fleurs de son défi. Mais s’il retourne un crâne (skull en anglais) la manche s’arrête immédiatement et le challenger perd une de ses cartes pour le reste de la partie.

Le jeu se termine dès qu’un joueur remporte deux manches (il est aussi possible de gagner en éliminant tous ses adversaires, mais cette situation est plus rare).

Si tu crois que je pense ce que tu crois, alors tu vas faire l’inverse de ce que tu crois que je pense (et réciproquement)

Plus une mécanique est simple, plus l’intérêt de la partie repose sur la qualité des joueurs. Skull est la parfaite démonstration de cette évidence, nous sommes ici dans un condensé du bluff, la quintessence de la rouerie.

unnamed2Ainsi, lors de la phase de défi, si vous avez mis un crâne dans votre pile, votre objectif est de faire monter les enchères suffisamment haut pour que le défi soit irréalisable… à condition que quelqu’un surenchérisse après vous, bien entendu.
Mais si au contraire vous n’avez mis que des fleurs, votre intention est d’emporter le contrat à un niveau accessible sans être trop frileux pour vous le faire souffler sous le nez, ni trop téméraire. Aïe, aïe, aïe !

Une fois les enchères remportées et vos fleurs dévoilées, il ne vous en manque que quelques-unes pour remplir votre contrat. Il s’agit alors de décoder les annonces de vos adversaires…
unnamed3Faut-il aller chez le joueur ayant lancé un défi à « 2 » malgré les 8 cartes posées autour de la table ? Son enchère était-elle faible car il a mis un crâne, ou voulait-il le faire croire afin de reprendre la main ?
Et celui qui avait annoncé « 4 » me direz-vous, il n’a que des fleurs ? Il est en effet envisageable qu’il considère que seules 4 cartes sont accessibles sans danger… ou alors il tendait un piège pour qu’un « 5 » infaisable soit annoncé, d’autant plus s’il a un crâne devant lui. Ouille, ouille, ouille !

Il n’y a pas de victoire sans prise de risque

skull03Vous allez penser « Hé ! bé ! il suffit de mettre un crâne à chaque fois et de ne jamais enchérir, on élimine tout le monde et l’affaire est faite ». Ah, ah, ah ! jeunes présomptueux !
Si effectivement, mettre un skull de façon régulière est un moyen de créer une suspicion légitime à votre endroit (et ainsi vous offrir une opportunité future) le mettre à tous les coups ne vous fera pas gagner. Car, il y a toujours un moment où quelqu’un remporte une première manche et s’approche ainsi dangereusement de la victoire.

Alors vous aurez peut-être la satisfaction d’avoir conservé toutes vos cartes et même certainement celle d’en avoir fait perdre à vos adversaires… mais la cruelle réalité s’imposera à vous : le vainqueur de deux manches – parfois avec une seule carte en main en fin de partie – fait de vous un looser comme les autres.

Hé ! oui ! vous l’aurez compris, Skull repose beaucoup sur la psychologie, mais aussi sur l’instinct et la prise de risque. Ça n’est pas pour rien que ce jeu plaît énormément aux joueurs de poker.

Si, à titre personnel, j’adore ce jeu, c’est pour ce mélange entre fourberie et analyse des comportements. On parle beaucoup autour de la table, on baratine, on s’observe, on se piège, on se teste. Certains vont se la jouer poker face, d’autres au contraire vont amplifier leurs expressions. En fait, Skull est un magnifique outil pour fédérer un groupe : par la comédie, le bluff et les petites entourloupes amicales, une complicité s’installe entre les joueurs. Chacun s’intéresse à l’autre et, une fois la partie terminée, un lien s’est créé, naturellement.

De Skull & Roses à Skull « tout court »

Il n’aura pas échappé à certains esprits acérés que Skull fait fortement penser à l’As d’Or 2011 dénommé Skull & Roses, du même Hervé Marly et toujours édité par Lui-Même. C’est normal, c’est le même jeu.
Simplement, après deux éditions parues, d’abord noire puis en rouge, l’éditeur Philippe des Pallières a eu l’excellente idée de faire appel à Thomas Vuarchex pour une troisième version en 2013.

skull04Pourquoi excellente ? Mais dites-moi, vous n’êtes pas simplement présomptueux, vous devenez insolent ! Parce que ce graphiste de grand talent a entièrement revisité les illustrations du jeu pour associer chaque set de cartes à une civilisation. Le résultat en est magnifique, chaque crâne est unique et une fleur différente y est attachée : le lotus au skull japonais, le chardon au celte, le protea africain…
La rose n’étant plus l’unique ornement floral, il était normal que le nom du jeu devienne Skull, titre plus court et certainement plus efficace.

Maintenant que vous savez tout, je n’ai plus qu’à vous inviter à réunir quelques amis au tempérament bien fourbe pour quelques heureuses parties de ce joyau ludique !

Skull est un jeu d’Hervé Marly
Édité par les éditions Lui-Même
Illustré par Thomas Vuarchex

Illustrations © 2013 – éditions Lui-Même (source Tric Trac)
Crédit photos Smerk © 2015 – La Boite à Chimère

2 réflexions sur “L’indispensable Skull — le bluff sous un crâne

  • Loub et son papa

    Merci Kristof ! Jeu acheté et testé à 4 !

    Notre méconnaissance de toutes les règles plus un hasard fou du tirage au sort ont fait que les 4 joueurs ont fini avec leur skull comme dernière carte en main (12 tirages au sort, aucun skull tiré). Les deux premiers éliminés (paris « forcés » perdus), les deux derniers ont fini en zugzwang avec chacun un squelette en main: celui qui avait la main perdait.

    Comment vous gagneriez cette situation qui apparaissait juste avant cette triste finale : deux joueurs en finale, chacun ayant 1 rose et 1 crâne et connaissant le jeu de l’autre ? Il semble que ce soit la loterie ?

    En tout cas il a fallu refaire le match avec les joueurs car ils ont pensé qu’il y avait un « impensé » ou « bug » dans le jeu dans le cas où chacun finit avec son skull comme dernière carte.

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    • Kristoff

      Chère Loub,
      Pour autant qu’elle soit rarissime, cette situation n’est pas pour autant un bug… en effet, dans la situation où chaque joueur termine par un Skull, le principe est de ne pas se faire dévoiler. Dans ce cas précis, le premier joueur est certain de perdre : il est obligé de lancer les enchères et son adversaire ne va certainement pas surenchérir s’il a un crâne.

      Dans le cas où les deux derniers joueurs ont, pour l’un un crâne et l’autre une fleur, celui qui a la fleur est certain de gagner (s’il sait que son adversaire a un crâne) : si le premier joueur a une fleur, il lance l’enchère à « un » et l’adversaire n’a d’autre choix que de surenchérir ou de passer… dans tous les cas il perd.

      Il n’y a donc aucun bug… pour autant cette configuration découle certainement d’une erreur d’analyse des joueurs quelques tours avant : le joueur ayant deux cartes (une fleur et un crâne) avec un adversaire à qui il ne reste plus qu’un disque ne peut normalement pas perdre ! Bien entendu tout dépend si l’un des deux a déjà gagné une manche, de l’ordre de commencement du tour etc… mais comme je l’ai écrit dans l’article, il faut savoir prendre des risques. Et la stratégie de pose d’un crâne systématique pour éliminer les cartes des adversaires mène immanquablement à la défaite…

      Mais Skull est un jeu à la fois simple à aborder, mais avec de grandes finesses dans la façon d’y jouer. En multipliant les parties, vous en découvrirez toutes les subtilités et serez en mesure d’évaluer les situations pour savoir à quel moment poser vos pièges ou tenter une manche gagnante, à quel niveau démarrer une enchère et où aller chercher les fleurs manquantes pour remplir votre contrat.
      Je ne peux que vous souhaiter de bien vous amuser !!

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